Période alternative (5ème jour)

Mardi 11 Aout 2009 vers 20h30

Ce soir je vais enfin savoir quel est mon poids réel. Car avec la balance qui me sert de test depuis dix jours, je dois avouer qu’il m’arrive d’être décontenancé. Chaque fois que je monte dessus pour me peser, je ne suis jamais certain qu’elle saura me dire quel poids je fais réellement. La pauvre. Depuis qu’elle subit mes assauts, elle part en miettes. Elle a perdu un peu de sa superbe. Grise et noire à ses débuts, elle est maintenant recouverte d’une fragile pellicule de rouille qui lui donne des airs de petite fille espiègle. Fifi brindacier. C’est le nom que je lui donne. La malheureuse est muette et ne  répond jamais à mes suppliques. Tout au plus gémit-elle lorsque je pose un pied dessus. Avant de faire hurler ses entrailles lorsque le second vient mettre son grain. Je l’imagine patienter, le souffle coupé, que je daigne la libérer de ce poids qui la pèse.  Comme les fourmis, elle est capable de porter sur ses épaules une charge très lourde. Je ne l’ai cependant jamais vue se déplacer dans la pièce. N’est pas une machine à laver en mode essorage qui veut. N’est-ce pas Anna?

A minuit donc, je monterai au cinquième étage. Je prendrai l’ascenseur pour ne pas arriver devant l’infirmière en sueur. Comme chaque année elle vérifiera mes capacités auditives et visuelles. Je me couperai du monde extérieur à l’aide d’un casque lesté de plomb et plaquerai mon visage devant un écran diffusant de bien curieuses images. J’espère toutefois passer avant Boob. Car si ce jeune homme est fort sympathique, quoique pas très malin, il a la mauvaise habitude de conserver une hygiène approximative. Je n’ai pas envie d’assimiler le cérumen de ses conduits auditifs ni le pus des furoncles qui grêlent son visage dans mon organisme. Lorsque ces quelques tests auront été effectués, ce sera au tour du médecin de me tâter. Je passerai comme chaque fois derrière le panneau qui me mettra à l’abri de son regard lorsque je me déshabillerai. En chaussettes et caleçon, il s’approchera de moi avec à la main un stéthoscope et un tensiomètre. Je précise: C’est bien moi qui serait en chaussettes et caleçon. Lui sera vêtu de sa classique blouse blanche. Détail amusant, je vérifie chaque année l’état de propreté de celle-ci. C’est pour moi aussi important que de vérifier la dentition d’un odontologiste. Après quelques palpations qui n’auront rien d’érotique, il retournera s’assoir derrière son bureau. Quand à moi, avant d’aller me rhabiller derrière le panneau, je saurai enfin combien je pèse lorsqu’il me demandera de monter sur la balance. J’espère alors le voir froncer les sourcils, inquiet, me demandant si je n’ai pas été malade récemment. Je lui demanderai pourquoi et il me répondra alors que j’ai perdu beaucoup de poids. Je le rassurerai peut-être en lui parlant de mon régime. Il me donnera sans doute des conseils. Dont je ne tiendrai évidemment pas compte. Soulagé, je quitterai la pièce après avoir échangé une poignée de main avec lui et retournerai sur ma position de travail…

Mercredi 12 Aout 2009 vers 01h00

Je sors tout juste de chez le médecin. La bonne nouvelle, c’est que depuis ma dernière visite, j’ai perdu quatre kilos. La mauvaise est que la balance qui dort dans ma salle de bain est bonne pour la casse. Je plains déjà les voisins du bruit qu’elle va occasionner lorsqu’elle dégringolera les trois étages de l’immeuble au moment de passer dans la gueule du vide-ordures. Une autre mauvaise nouvelle tiens (quoique) ! J’ai parlé au médecin de mon projet d’arrêter de fumer. Il m’a purement et simplement conseillé de laisser tomber l’idée. Et oui. Cela parait à peine croyable mais l’ayant mis au courant du régime que je suis en train d’entreprendre, il m’a dit que je risquais de perdre le bénéfice acquis jusqu’ici. Arrêter de fumer, c’est prendre le risque d'entendre mon estomac me hurler qu’il faut le nourrir davantage. Et le confronter à mes poumons soulagés d’apprendre qu’ils n’auront plus à subir ni goudron ni nicotine n’y changera rien.
En contrepartie, puisqu’au travail je n’ai jamais eu le répondant nécessaire pour répondre à ceux qui toussotent devant les nuages de fumée que je dessine, je leur répondrai que la cigarette m’a été formellement conseillée par le médecin du travail.

Je suis passé d’un gros quinze de tension à un petit douze . Mon cœur bat lentement. Sauf en présence d’Anna dois-je le préciser?

Ce qui m’inquiétait le plus et que le médecin a infirmé était l’état de mes yeux. Surtout lorsque l’infirmière m’a demandé mon âge alors que j’étais en train de suer devant une série de lettre indéchiffrables. Si j’ai souffert devant certaines, je ne suis par contre pas passé à coté de ses fesses que j’ai trouvées bien plus grosse que l’année passée. J’eus presque envie de parler hyperprotéines avec elle avant de me raviser.

Maintenant me voici devant mon petit ordinateur. J’en ai fini pour cette nuit d’écrire ces quelques mots. Bientôt apparaîtra l’écran noir avant que les néons du quai ne viennent lui prendre sa place…