Période alternative (4ème jour)

Mardi 11 Aout 2009 vers 01h00

J’ai terminé hier les œufs que je m’étais acheté la semaine passée. Durs, mollets, coques ou sous forme d’omelette, ils m’ont permis de diversifier une alimentation basée exclusivement sur des protéines animales. Alors qu’il m’était conseillé  de n’en manger que trois ou quatre, la boite de dix est partie en l’espace de quelques jours. 

C’est dans la matinée que la première plume est apparue. A grands coups de peigne, j’ai vainement tenté de me débarrasser de l’épi qui me poussait à l’arrière du crâne et qui tendait vers le plafond. Rigide et élastique, même l’eau et le gel que je me suis appliqué n’y ont rien fait. C’est après avoir saisi un miroir grossissant que j’ai réalisé que ce qui tenait de mèche rebelle était en fait une plume. Large et duveteuse, couleur poivre et sel, elle donnait à ma chevelure l’apparence d’une coiffe indienne.
Ma première réaction fut de m’assurer qu’un croupion n’avait pas encore fait son apparition à la base de ma colonne vertébrale. Sous la douche, j’ai vérifié également que je n’avais pas les doigts de pieds palmés.
Quelle ne fut pas ma surprise quand, connecté sur un site qui doit, je l’espère à court terme, me rapporter un peu d’argent, j’ai vu mon pseudo apparaître. Coincoin.

Voila donc que la machine était lancée. Du statut d’homme ne se nourrissant que de viande, de féculents et de sucreries, j’allais devenir l’une de ces stupides bêtes ailées ne se nourrissant que de grains et expulsant chaque matin un œuf unique. Je devrai très vite me faire à l’idée d’oublier les longues conversations que j’entretiens quotidiennement avec mes semblables et me préparer à combattre à coups de becs mes futures colocataires. Lorsque je sais dans quelles conditions certaines d’entres elles mènent leur existence avant de se retrouver dans une assiette, élevées en batterie par milliers, j’aime mieux croire que le sort qui me sera destiné sera celui d’une poule enfermée dans un poulailler. Entre pattes crottées, paille malodorante et coups de becs vicieux, j’aurai toutefois l’espoir d’être la propriété d’un végétarien qui n’aura d’autres ambitions que de prélever l’œuf pondu chaque matin pour aller le vendre au marché.
Il me faut pour cela prévenir mon entourage. Lui dire que le gallinacé de presque quatre-vingt dix kilos qui dort dans le salon, c’est moi. Moi qui suis passionné de musique et de cinéma, je me vois mal bientôt n’avoir comme unique centre d’intérêt que de faire les cents pas en long et en large sur une superficie pas plus grande que ma salle de bain.

Mon rêve de célébrité sera peut-être enfin comblé lorsqu’un type du Guiness viendra prendre mes nouvelles mensurations…